Chapitre III

Chapitre III

Le temps était froid et brumeux, il tombait une pluie fine lorsque Myrtô prit, le lendemain, le train pour Paris. Un peu d’angoisse l’oppressait à la pensée de pénétrer dans ce milieu inconnu, où tous n’auraient peut-être pas pour elle la même bienveillance que la comtesse Gisèle.

Un tramway la déposa dans le faubourg Saint-Germain, non loin de la rue où habitait la comtesse… Bientôt la jeune fille s’arrêta devant un ancien et fort majestueux hôtel qui portait, gravées dans un écusson de pierre, des armoiries compliquées. Un domestique en livrée noire fit traverser à Myrtô le vestibule superbe, puis un immense salon décoré avec une splendeur sévère et artistique, et l’introduisit dans une pièce à peine plus petite, tout aussi magnifiquement ornée, mais qui avait un certain aspect familial grâce à une corbeille à ouvrage, à des livres entr’ouverts, à un certain désordre dans l’arrangement des sièges, et aussi à la présence d’un petit chien terrier, blotti dans un niche élégante.

Cette pièce était déserte… Le domestique s’éloigna, d’un pas assourdi par les tapis, et Myrtô jeta un coup d’œil autour d’elle.

Son regard fur attiré tout à coup par un tableau placé au milieu du principal panneau. Il représentait un jeune homme de haute taille, très svelte, qui portait avec une incomparable élégance le somptueux costume des magnats hongrois. La tête un peu redressée dans une pose altière, il semblait fixer sur Myrtô ses grands yeux noirs, fiers et charmeurs, qui étincelaient dans un visage au teint mat, orné d’une longue moustache d’un noir d’ébène. Sa main fine et blanche, d’une forme parfaite, était posée sur le kolbach garni d’une aigrette retenue par une agrafe de diamants. Tout, dans son attitude, dans son regard, dans le pli de ses lèvres, décelait une fierté intense, une volonté impérieuse et la tranquille hauteur de l’être qui se sent élevé au-dessus des autres mortels.

Du moins, ce fut l’impression première de Myrtô… Et pourtant, quelque chose dans cette physionomie attirait et charmait. Mais Myrtô ne su pas définir exactement la nature de ce rayonnement que le peintre avait mis dans le regard de son modèle.

Le bruit d’une porte qui s’ouvrait, de pas légers dans le salon voisin, fit retourner Myrtô. Elle vit s’avancer une jeune fille grande et mince, et une fillette à l’aspect fluet. Toutes deux avaient les mêmes cheveux d’un blond argenté, les mêmes yeux gris très grands et un peu mélancoliques, la même coupe longue de visage, et le même teint d’une extrême blancheur.

Soyez la bienvenue, ma cousine, dit l’aînée en tendant la main à Myrtô. Ma mère, en nous racontant hier sa visite, nous avait donné le désir de vous connaître… Mais il faut que nous nous présentions nous-mêmes. Voici ma jeune sœur Mitzi. Moi, je suis Terka.

Presque aussitôt apparut la comtesse, suivie de ses deux autres enfants, Irène et Renat. Irène était une jeune fille de seize à dix-sept ans, petite et un peu forte, aux cheveux noirs coquettement coiffés, au visage irrégulier, mais assez piquant. Elle était vêtue avec une élégance très parisienne, et semblait poseuse et fière.

Renat, un garçonnet d’une dizaine d’années, lui ressemblait beaucoup, et paraissait en outre d’un caractère difficile, ainsi que Myrtô put le constater pendant le repas. Sa mère semblait le gâter fortement, Fräulein Loenig, une grande blonde à l’air sérieux et paisible, n’avait évidemment aucune autorité sur lui… Ce futur élève promettait de durs moments à Myrtô. Heureusement la blonde Mitzi avait l’air beaucoup plus calme et plus douce.

Myrtô se sentait un peu oppressée dans cette salle à manger magnifique, au milieu des recherches d’un luxe raffiné qui lui était inconnu — recherches auxquelles s’adaptaient cependant aussitôt, sans hésitation, ses instincts de patricienne. Elle sentait chez ses parents la correction de femmes bien élevées, accomplissant un devoir strict, mais aucun élan vers elle, l’orpheline, dont le cœur meurtri avait soif d’un peu de tendresse. On l’accueillait parce que sa mère avait été une Gisza, mais elle comprenait bien qu’elle ne serait jamais traitée comme étant complètement de la famille.

Irène surtout semblait froide et altière. Elle prenait, en s’adressant à sa cousine, un petit air condescendant auquel Myrtô préférait la tranquille indifférence qu’elle croyait saisir sous la réserve de Terka. La comtesse Gisèle lui semblait, de toutes, la mieux disposée à son égard.

Et cependant, une phrase d’Irène vint révéler à Myrtô un fait qui montrait clairement que la comtesse Zolanyi n’avait plus néanmoins considéré tout à fait des siennes Hedwige Elyanni.

La jeune fille parlait de Paris et déclarait qu’elle aurait voulu y vivre toujours.

Les deux mois que nous y passons chaque année me consolent un peu du long séjour qu’il nous faut faire au château de Voraczy, ajouta-t-elle.

Deux mois !… Et jamais la comtesse Gisèle n’était venue voir sa cousine !

L’impression pénible éprouvée par Myrtô se reflétait sans doute dans son regard, car la comtesse regarda sa fille d’un air contrarié et orienta sur un autre terrain la conversation en parlant de Voraczy, la résidence du prince Milcza, où elle passait avec ses enfants le printemps, l’été, et une partie de l’automne.

Si la réponse de mon fils est favorable, c’est là où nous vous emmènerons, Myrtô. Vous verrez le plus magnifique domaine de la Hongrie…

Je l’aimerais mieux moins magnifique, avec quelques fêtes, des réunions, de grandes chasses comme autrefois ! soupira Irène. Heureusement, nous avons les réceptions chez les châtelains du voisinage, mais nous ne pouvons leur rendre leurs politesses que par de petites réunions sans importance, alors que Voraczy est un tel cadre pour tout ce que l’imagination peut rêver des fêtes incomparables !

Moi j’aime Voraczy, dit Mitzi qui n’avait pas parlé jusque-là. L’air y est si bon !… et on y est plus tranquille qu’à Paris, à Vienne ou à Budapest.

Je l’aime aussi ! déclara Renat. Je m’y amuse bien… excepté quand il faut que j’amuse Karoly.

Ces derniers mots furent prononcés à mi-voix, comme s’il craignait d’être entendu par quelque personnage invisible.

Le front de la comtesse se plissa un peu, tandis qu’un léger effarement passait dans le regard de Mitzi.

Je t’ai déjà dit, Renat, qu’il ne fallait jamais… jamais… Tu le sais bien, voyons !

Le regard hardi de l’enfant se baissa comme sous une mystérieuse menace, qui ne semblait cependant pas exister dans le ton presque apeuré de sa mère.

Dans le salon, après le repas, la conversation se traîna un peu. Les goûts, les habitudes de Myrtô étaient trop différents de ceux de ses parentes, très mondaines, du moins la comtesse et Irène, car Terka semblait beaucoup plus paisible. Aussi, Myrtô ne se heurta-t-elle qu’à de faibles instances lorsqu’elle se leva bientôt pour prendre congé.

Attendez au moins un peu, le temps que l’on attelle pour vous conduire à la gare, dit la comtesse. Et revenez un de ces jours, quand il vous plaira. J’espère avoir bientôt une réponse de mon fils… Comme je la suppose favorable, il faudrait songer par avance à ce que vous ferez de vos meubles, car notre départ pour Vienne est fixé dans une dizaine de jours. Je pense que vous devrez les vendre…

J’aurais aimé à conserver la chambre de ma mère, dit Myrtô d’une voix un peu tremblante. Elle n’a qu’une faible valeur, les meubles étant vieux et défraîchis.

Je comprends ce désir, mon enfant, mais qu’en ferez-vous ?… Certes, je n’aurais pas mieux demandé que de les faire enfermer ici, dans une des chambres du second étage, mais cette demeure appartient au prince Milcza, et l’intendant qui gère les propriétés que mon fils possède en France se refusera certainement à faire entrer ici quoi que ce soit sans l’assentiment de son maître. Et ni lui, ni moi n’oserions écrire au prince pour une chose de si petite importance.

Je réfléchirai… je verrai si je ne puis trouver une combinaison, dit Myrtô.

C’est cela… Peut-être ces voisines dont vous m’avez parlé vous donneront-elles une idée… Et dites-moi mon enfant, ne craignez pas, s’il vous manque quelque chose…

Myrtô rougit un peu et répliqua vivement :

Merci, ma cousine, mais j’ai suffisamment, je vous assure. Ma pauvre maman venait de recevoir son trimestre de pension…

Un domestique vint annoncer que la voiture était avancée. Myrtô serra les mains de ses parentes, et fut reconduite jusqu’au vestibule par Terka et Mitzi…

Les deux sœurs rentrèrent ensuite dans le salon, au moment où Irène disait d’un ton contrarié :

Ce sera amusant d’avoir cette jeune fille pour institutrice ! Je ne comprends pas que vous ayez songé, maman… !

C’est vrai qu’elle est d’une beauté ravissante, dit la comtesse d’un ton de regret. J’ai peut-être été un peu vite, l’autre jour… Mais la pauvre enfant me faisait compassion, si seule, si triste… Et après tout, si elle est pieuse et sérieuse comme elle le paraît, la chose ne sera peut-être pas aussi ennuyeuse que tu le crains, Irène. Naturellement, elle restera en dehors de toutes nos relations, nous la confinerons dans son rôle d’institutrice…

Je le pense bien ! Croyez-vous que je serais charmée de présenter dans le monde cette cousine inconnue…

Si jolie et si admirablement patricienne, ajouta la voix calme de Terka.

Irène rougit et lança à sa sœur un coup d’œil irrité.

Moi, je pense que je pourrai faire avec elle tout ce que je voudrai, déclara Renat, occupé à décorer les oreilles du petit terrier avec des écheveaux de soie enlevés à la corbeille à ouvrage de sa mère.

Mais je crois que tu ne t’en es jamais privé avec Fräulein Rosa, remarqua paisiblement Terka. Allons, Mitzi, il est l’heure de ta leçon de dessin. Si Renat est disposé aujourd’hui, il nous rejoindra.

Non, Renat n’est pas disposé ! riposta le petit garçon en s’enfonçant dans son fauteuil. Renat déteste le dessin, il n’aime au monde que la musique… Mais j’ai bien peur que votre Myrtô ne soit un mauvais professeur, maman, ajouta-t-il dédaigneusement.

* * *

Pendant ce temps, la voiture emportait Myrtô vers la gare. Il eût paru naturel qu’une de ses cousines l’accompagnât jusque-là. Mais cette idée n’était vraisemblablement pas venue à l’esprit d’aucune des jeunes comtesses, Myrtô apprenait déjà qu’il existerait pour elle une limite dans les égards et dans la sympathie.

Un peu d’amertume lui était demeurée de ces moments passés à l’hôtel Milcza. Pour la chasser, elle entra dans une église et pria longuement, épanchant son cœur fatigué en laissant couler doucement ses larmes. Puis, réconfortée, elle gagna son logis.

Sur le palier du quatrième étage, Albertine causait avec son fiancé qui venait de déjeuner en compagnie de sa future famille et retournait maintenant à sa demeure. C’était un gros blond, bon garçon, très gai, qui avait une excellente place dans le commerce. Myrtô le connaissait déjà, Madame Millon l’ayant présenté à Madame Elyanni aussitôt que les fiançailles avaient été conclues.

Eh bien ! mademoiselle Myrtô, ce déjeuner s’est bien passé ? demanda Albertine après que la jeune fille eut répondu gracieusement au profond salut de Pierre Roland.

Mais très bien… Seulement, je suis contente de revenir chez…

Elle allait dire comme autrefois : “Chez nous”… Et elle retint les larmes qui lui montaient aux yeux en songeant qu’elle ne dirait plus ce mot si doux.

… Je suis si lasse de corps et d’esprit que j’avais hâte d’être de retour ici, de ne plus avoir à causer, à écouter.

Vous viendrez bien tout de même goûter à notre soupe, mademoiselle Myrtô ? demanda Madame Millon qui apparaissait sur le seuil, Jean pendu à sa main. On ne causera pas beaucoup, pour ne pas vous fatiguer.

Et je ne vous demanderai pas de me dire des histoires, ajouta Jean avec une générosité chevaleresque.

Myrtô avait bien envie de refuser, mais elle n’osa, craignant de blesser les excellentes créatures qui l’avaient entourée, durant tous ces tristes jours, d’attentions affectueuses et discrètes…

Elle s’assit donc le soir à la table des Millon, et pas une minute la modeste toile cirée, le couvert commun, les mets fort simples et le service fait par ses hôtesses ne lui firent regretter la table splendide, le menu délicat et le service impeccable de l’hôtel Milcza. Ici elle se sentait aimée, là-bas acceptée seulement… Et Myrtô était de celles qui font passer les satisfactions du cœur infiniment au-dessus de celles du bien-être et des raffinements d’élégance.

* * *

Quelques jours plus tard, un billet de la princesse Zolanyi informait Myrtô que le prince Milcza acceptait que sa mère s’occupât de la fille de sa cousine. Il fallait donc que la jeune fille s’apprêtât aussitôt pour son départ, et prît toutes les dispositions relatives à la vente des quelques meubles qui ornaient le petit logement.

Ceux qu’elle désirait conserver trouvèrent place chez une voisine qui acceptait, moyennant une faible rétribution, de les garder dans une pièce inutilisée. Les autres furent vendus avantageusement par les soins de Mme Millon, à qui Myrtô confia quelques souvenirs très chers mais trop encombrants pour être emportés.

Et je soignerai bien vos fleurs, mademoiselle ! dit la brave dame en étendant la main vers le bow-window, le jour où Myrtô quitta définitivement le cher petit logis.

C’était, pour la jeune fille, une consolation de penser qu’elle serait remplacée ici par ses voisines, les dames Millon échangeant, à l’occasion du prochain mariage d’Albertine, leur logement pour celui-là dont les pièces étaient plus vastes.

Toutes deux, avec le petit Jean, accompagnèrent Myrtô à la gare lorsqu’elle fut revenue du cimetière où elle avait été dire une dernière prière sur la tombe de sa mère. La jeune fille pleurait silencieusement en se séparant de ses humbles mais véritables amies, qui trouvaient moyen, jusqu’au dernier moment, de l’entourer d’attentions.

Vous nous écrirez quelquefois, mademoiselle Myrtô ? demanda Albertine en tamponnant ses yeux gonflés.

Oui, oh ! oui ! Jamais je n’oublierai combien vous avez été bonnes, toutes deux !

Ah ! si nous avions pu seulement vous conserver près de nous ! soupira Madame Millon.

Le train s’ébranlait, Myrtô vit bientôt disparaître ces visages amis… Et elle s’enfonça dans le coin du compartiment en se disant qu’une nouvelle vie, pleine d’incertitudes, commençait pour elle.

La famille Zolanyi ne partant que le surlendemain, Myrtô passa donc sa journée et celle du lendemain à l’hôtel Milcza. L’attitude de ses parentes se précisa telle qu’elle l’avait sentie déjà : chez la comtesse, une bienveillance un peu froide, chez Terka, une réserve polie, chez Irène, une indifférence légèrement dédaigneuse, et à certains instants, un tant soit peu agressive. Quant à Mitzi, elle semblait se modeler sur sa sœur aînée, et Renat, agité par la perspective du départ, avait autre chose à faire que de s’occuper de celle qu’il appelait la remplaçante de Fräulein.

Myrtô comprit ainsi, dès le premier moment, qu’elle serait moralement isolée dans cette famille, et qu’il ne lui fallait pas compter trouver une amitié chez ces cousines de son âge qui ne l’acceptaient pas tout à fait comme une des leurs.

Les Zolanyi s’arrêtèrent au passage huit jours à Vienne, où la comtesse avait quelques arrangements à régler. Le prince Milcza possédait dans cette ville un palais magnifique, décoré avec le luxe le plus exquis. Mais, pas plus que dans l’hôtel de Paris, rien ne décelait ici la présence habituelle ou même accidentelle du maître. Terka, à qui Myrtô fit un jour cette remarque en parcourant à sa suite les admirables salons, répondit brièvement :

Non, le prince Milcza ne quitte plus Voraczy.

Dans les rares occasions où la comtesse et ses enfants parlaient du prince, ces derniers désignaient toujours leur frère de cette façon cérémonieuse, et tous, même l’indépendant Renat, prenaient un ton où la déférence se mêlait à une sorte de crainte.

Les voyageurs arrivèrent par une belle soirée de mai à la petite gare qui desservait le château de Voraczy. Deux voitures attendaient. La comtesse et ses filles montèrent dans la première, Myrtô, Fräulein Rosa et Renat dans la seconde, où prirent place aussi les femmes de chambre.

Le crépuscule tombait, Myrtô ne vit que vaguement le beau paysage verdoyant qui s’étendait de chaque côté de la large route.

Tout ça est au prince Milcza… tout ça, tout ça ! disait Renat en étendant la main de tous côtés, vers les forêts dont la ligne sombre barrait l’horizon. Je ne peux pas vous montrer jusqu’où, et il vous faudra longtemps pour connaître tout. Nous irons en voiture, cela m’amusera de vous montrer… Il y a un lac si joli !… Et le Danube n’est pas loin, vous verrez. Le prince Milcza a un petit yacht, où il se promène quelquefois avec Karoly.

Qui est Karoly ? demanda Myrtô.

Karoly, c’est son fils.

Ah ! le prince est marié ? dit-elle avec surprise, car jamais elle n’avait entendu faire allusion à une princesse Milcza.

Non, il ne l’est plus… et puis il l’est tout de même, répondit Renat.

Voyons, que me racontez-vous là, Renat ? dit-elle en souriant. Voulez-vous dire que votre frère est veuf ?

Mais non ! fit l’enfant avec impatience. Vous ne comprenez rien ! Je veux dire que… Ah ! nous voilà arrivés ! Regardez, Myrtô !

Les voitures, sortant d’une magnifique allée, formée d’arbres énormes, venaient de franchir une grille immense, dont les globes électriques éclairaient la merveilleuse ferronnerie. Au-delà de la cour d’honneur, digne d’un palais royal, s’élevait une construction superbe, d’aspect majestueux et presque sévère. Une lumière intense et cependant très douce éclairait tout la façade, mais surtout le perron monumental, à double rampe, sur lequel attendaient plusieurs domestiques en livrée blanche à parements couleur d’émeraude.

Dans le vestibule, haut comme une église, dallé de marbre, décoré de tapisseries magnifiques, un personnage imposant, vêtu de noir, s’inclina devant la comtesse en disant :

Son Excellence le prince Milcza m’a chargé de souhaiter la bienvenue à Votre Grâce et de l’informer qu’il viendra lui présenter ses hommages aussitôt le dîner terminé.

Ah ! merci, Vildy !… Montons vite, enfants, il ne faut pas nous retarder… Katalia, montrez sa chambre à Mademoiselle Elyanni.

Ces mots s’adressaient à une grande femme très correctement vêtue de soie noire. Sur son invitation, Myrtô la suivit au second étage, jusqu’à une chambre fort bien meublée, et pourvu d’un confort ignoré par la jeune fille dans sa chambre de Neuilly.

Et pourtant, comme elle eût souhaité se trouver encore là-bas ! Que serait-elle dans cette opulente demeure, sinon une quasi-étrangère, la cousine pauvre que l’on accepte et que l’on dédaigne ?

Refoulant les larmes qui gonflaient ses paupières, elle se mit à genoux et réconforta son cœur par une ardente prière. Puis s’étant hâtée de se recoiffer et de changer sa robe de voyage, elle descendit un peu au hasard.

Un domestique lui indiqua la salle à manger, pièce fort élégante mais dont les dimensions relativement restreintes ne cadraient pas avec l’apparence du château.

Le dîner fut un peu vite expédié. La comtesse semblait nerveuse, et elle se leva sans avoir achevé son dessert lorsqu’un domestique vint la prévenir que “Son Excellence attendait dans le salon des Princesses”.

Allons, venez vite, enfants… Renat, arrange un peu ton col. Laisse cette crème, mon enfant, il ne faut pas faire attendre le prince. Myrtô, remontez chez vous, reposez-vous bien. Je vous présenterai un de ces jours, mais ce soir, il n’est pas nécessaire.

Elle s’en allait tout en parlant, suivie de ses enfants… Et Myrtô remonta dans sa chambre, étonnée au plus haut point de tant de correction et d’étiquette dans ces relations de mère à fils, de sœurs à frère… Décidément, mieux valait s’appeler Millon et s’aimer à la bonne franquette !… Et ce prince Milcza devait être quelque grand seigneur plein de morgue, qui considèrerait de bien haut Myrtô Elyanni, sa très humble parente.



À suivre...


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